« Je savais bien comment j’étais faite, et j’étais consciente de la matérialité brute de mon corps, mais pendant une grande partie de ma vie, je ne lui avais guère accordé d’importance. J’avais grandi avec les vilains vêtements cousus par ma mère, en n’ayant qu’une paire de chaussures à la fois et ne me maquillant qu’en de rares occasions. Ces dernières années, j’avais commencé à m’intéresser aux modes et à former mon goût sous la houlette d’Adèle, et à présent je trouvais amusant de me faire une beauté. Mais il m’arrivait parfois – surtout lorsque j’avais soigné mon apparence non seulement pour faire bonne impression en général, mais pour un homme en particulier – de trouver cette cuisine (c’était le mot) quelque peu ridicule. Tous ces efforts et ce temps passé à me camoufler alors que j’aurais pu faire autre chose ! Les couleurs qui me vont bien et celles qui ne me vont pas, les modèles qui m’amincissent et ceux qui me grossissent, la coupe qui me met en valeur et celle qui me dévalorise. Des préparatifs longs et coûteux me réduisant à être comme une table dressée pour l’appétit sexuel du mâle, comme un plat bien cuisiné pour que l’eau lui vienne à la bouche. Et puis l’angoisse de ne pas y arriver, de ne pas paraître belle, de ne pas être parvenue à cacher avec habileté la vulgarité de la chair, avec ses humeurs, ses odeurs et difformités. »

 

Elena Ferrante, Celle qui fuit et celle qui reste

Musique : Leonore O’Malley – First Be A Woman